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24/03/2022

Top des races de chiens préférées des Français : un classement polémique

Chaque année, la Société Centrale Canine (l’organisme national qui régit et fédère tous les clubs de races de chiens reconnues) publie son célèbre « top des races de chiens préférées des Français » qui correspond en fait au nombre d’inscriptions de chiens de races au LOF (Livre des Origines Français). Si ce classement fait tous les ans l’objet de nombreux relais médiatiques vantant les mérites des chiens de race, il relève pourtant d’une réalité beaucoup plus triste. On vous explique pourquoi ce palmarès soulève plusieurs questions.

Avant tout, quelques explications sur le fonctionnement de la cynophilie française : l’inscription au LOF, c’est ce qui permet à un chien d’avoir un pedigree. D’être un chien « de race ». Bien sûr, tous les chiens ne sont pas inscrits au LOF, et même si certains ont l’apparence d’un chien de race, ils ne sont pas officiellement reconnus comme tels s’ils ne sont pas inscrits au LOF. Par exemple, un chien à l’apparence d’un Labrador n’est reconnu comme appartenant à cette race que s’il est inscrit au LOF. Dans le cas contraire, il n’est que « de type » Labrador, ou « croisé » Labrador.

Aujourd’hui, en France, près d’un chien sur trois est inscrit au LOF, soit environ 2,5 millions de chiens sur les 7 millions que compte le territoire (source : Statista). Et tous les ans, au gré des modes et des jeux d’influence internes au monde de la cynophilie, les races les plus représentées (c’est-à-dire dont il y a le plus d’inscriptions pendant un an), varient. La Société Centrale Canine (SCC) publie donc chaque année sont « top des races de chiens préférées des français » qui ne se base pas véritablement sur les préférences des Français (ce n’est pas le fruit d’une enquête sur leurs goûts), mais sur les chiffres des inscriptions au LOF, qui lui-même dépend du nombre de naissances de chiots de race dans l’année. On en déduit donc que plus il y a de naissances de chiots d’une race et d’inscriptions au LOF, plus on peut considérer que cette race est « aimée » des Français puisque les ventes sont accrues.

En 2021, nous retrouvons donc sur le podium des « chiens préférés des français » : en 3ème position, le Berger belge (13 542 inscriptions au LOF), à la deuxième place, le Golden Retriever (14 444 inscriptions), et enfin le grand « vainqueur », le Berger australien (20 449 inscriptions) qui conserve sa première place depuis 3 ans. Le Staffordshire Bull Terrier (Staffie), le Berger allemand, le Labrador ou encore l’American Staffordshire Terrier figurent également parmi les races dites « préférées » des Français (retrouvez le classement sur le site de la SCC).

Chien de race : une fausse garantie de bonne santé physique et psychique

Dans un communiqué, la SCC se gargarise des résultats de 2021 : « Le chien de race connaît une année historique avec un record de 276 506 inscriptions au LOF, soit +13% vs 2020 », déclare-t-elle, avant d’affirmer : « L’inscription d’un chien au LOF et son pedigree apportent un véritable gage de qualité, portant à la fois sur la morphologie, le comportement ainsi que de la santé du chien. ». Des propos qui ne correspondent pas à la réalité, loin de là.

En effet, le pedigree garantit que le chien répond aux standards de la race, par exemple, que sa robe est de telle couleur, qu’il mesure telle taille, et qu’il est censé avoir certaines aptitudes (conduite de troupeau, chasse, etc.). Ce n’est toutefois pas du tout une garantie d’avoir un chien en bonne santé physique et psychique, bien au contraire.

D’abord, sur le plan comportemental : chaque chien est un individu différent, même au sein d’une race. Ce n’est pas parce qu’on acquiert un Berger allemand de race qu’il faut s’attendre à avoir un chien 100% conforme à ce qu’on attend de lui. Chaque chien est une personne avec sa personnalité propre. D’autre part, les chiens de race naissent dans des élevages qui sont généralement situés à la campagne, et certains grandissent dans des chenils. De ce fait, les chiots ne sont pas toujours familiarisés aux bruits d’une maison, à la ville, à la voiture, aux autres animaux… Nous ne faisons là aucune généralité : chaque éleveur de chiens de race est libre d’élever ses chiots comme il l’entend, ce qui crée inéluctablement des inégalités de développement chez des chiots selon leur provenance mais aussi selon leur patrimoine génétique (l’inné et l’acquis sont donc à considérer). Or, les expériences et apprentissages que font les chiots au cours de leurs 2 premiers mois de vie sont fondamentaux pour l’équilibre psychique de l’ensemble de leur vie.

En ce qui concerne la prétendue « qualité » de la « santé » des chiens de race, le pedigree est au contraire un facteur de risques : en effet, les chiens de race sont issus d’une pression de sélection artificielle qui a engendré une consanguinité importante chez les individus. En conséquence, les chiens de race sont beaucoup plus enclins à développer des maladies génétiques que les chiens « croisés ». C’est ce qu’a confirmé une vaste étude de 2018 sur la fréquence et la répartition de 152 maladies génétiques, menée sur plus de 100 000 chiens de race et croisés (18 000 chiens de race + 83 000 chiens croisés) et publiée dans la revue scientifique Public Library of Science. Wisdom Health et Genoscoper Laboratories ont ainsi démontré que les chiens de race avaient 2,8 fois plus de chances que les chiens croisés de développer une maladie génétique. Les chiens « hypertypés » (c’est-à-dire dont les caractéristiques morphologiques ont fait l’objet d’une sélection artificielle poussée à l’extrême, comme le fait de rendre le museau toujours plus plat, l’arrière-train toujours plus bas ou les pattes toujours plus courtes) sont également des chiens que l’on fait naître malades ou handicapés uniquement par souci d’esthétisme… « Au moins 50% des interventions chirurgicales pratiquées par un vétérinaire concernent des maladies congénitales », témoigne le Dr Bruno David Benaim, chirurgien vétérinaire et fondateur d’Itivet Paris. Osons donc lever le voile sur ce tabou : la sélection artificielle peut induire de la souffrance animale.

Chiens de race : un problème éthique

Par ailleurs, l’augmentation du nombre de chiens inscrits au LOF en 2021 n’est aucunement une bonne nouvelle pour « la protection animale ». La certaine publicité offerte aux races figurant en tête du classement des « races préférées des Français », ne l’est pas davantage. Elle pousse au contraire à la « consommation » de ces chiens « à la mode », qu’ils aient un pedigree ou non, achetés en élevage ou non.

Le problème est que ce sont justement ces mêmes chiens « à la mode » que l’on retrouve ensuite dans les refuges. C’est mathématique : si une race est surreprésentée sur le territoire, elle a bien plus de chances d’être proportionnellement sur-représentée parmi les abandons.

D’ailleurs, il ne faut pas croire que seuls les chiens « croisés » sont abandonnés. S’il n’existe pas de statistiques officielles sur les abandons, les races les plus abandonnées et les motifs d’abandons (ce qui est bien dommage), il suffit d’arpenter les allées des refuges pour se rendre compte des profils présents : Bergers belges (Malinois), American Staff, Bergers australiens, Staffies… Autant de chiens « à la mode », dont les anciens propriétaires n’étaient pas forcément conscients des besoins.

Abandons, euthanasies… les chiens de race en sont aussi victimes

A la ferme-refuge AVA – Agir pour la Vie Animale, plus d’un chien sur deux est un chien « de race ». Nous hébergeons actuellement et depuis de nombreuses années, plusieurs Bergers belges, Golden Retrievers, Bergers australiens… mais aussi des Cockers ou encore Jack Russell : des races qui séduisent de nombreux Français mais qui ne sont pourtant pas à mettre entre les mains de tout le monde… Dans tous les cas, ces chiens, qui avaient été achetés et aimés par leurs anciennes familles pendant parfois des années, ne bénéficiaient généralement pas d’un environnement et d’un cadre de vie adéquats. Cela a engendré chez eux des comportements « gênants » pour leur foyer : agressivité, malpropreté, destructions, aboiements intempestifs… A nos yeux, ces chiens ne sont pas « malades », ils n’ont simplement pas eu une vie conforme à leurs besoins : leurs propriétaires les ont choisis non pas en se basant sur la compatibilité entre leur mode de vie et les besoins de l’animal, mais sur l’apparence de ce dernier. Et les éleveurs n’ont vraisemblablement rien fait pour les en dissuader. La SCC devrait donc ardemment sensibiliser les éleveurs à la nécessité de bien sélectionner les acheteurs !  

SI AVA offre un lieu de vie à ces chiens passés du statut d’« adorables boules de poils » à celui d’ « indésirables », tous n’ont pas la chance de trouver une structure comme la nôtre pour prendre un nouveau départ. Et, hélas, parfois, la seule issue est l’euthanasie. Ce fameux « piquez-le » arbitraire qui résonne tristement dans les salles de consultation vétérinaire et contre lequel nous nous battons si fort depuis plus de 35 ans…  « Piquez-le parce qu’il a mordu ». « Piquez-le parce que je ne veux pas d’un chien handicapé ». « Piquez-le parce que je n’ai pas les moyens de payer son opération ». On ne compte plus le nombre de fois où nous avons été la seule alternative à un « piquez-le » demandé par un particulier à son vétérinaire.

Encourager à l’achat des chiens les plus « tendance » est un non-sens

Voilà pourquoi la publication du classement annuel des « races de chiens préférées des Français » nous révulse. Il met la lumière sur des races en vantant les mérites de la cynophilie française, dont l’organisation, régie par la SCC, est aujourd’hui poussiéreuse et indigne d’un pays supposé s’engager dans le bien-être animal. Ce classement reflète une demande sociétale basée sur la forme et non le fond (sur le physique plutôt que sur le comportement), comme dans bien des domaines. Mais en communiquant de la façon dont elle le fait, la SCC n’est pas que le miroir d’une tendance sociétale à la dérive : elle l’encourage alors qu’elle devrait agir pour y mettre fin.

Loin de nous l’idée de bannir l’élevage canin, et loin de nous l’idée de n’encourager qu’à l’adoption : nous partons du principe que chacun est libre d’acquérir son animal là où bon lui semble, et nous ne pensons pas que les associations soient le seul moyen de le faire sous prétexte « qu’il y a trop d’animaux qui attendent une famille ». Nous ne sommes pas contre les élevages ni contre les races. Mais nous militons pour dépoussiérer la cynophilie, afin que les « standards » de race s’attachent bien davantage à des critères de santé et de comportement qu’à l’apparence.

Chaque année, des milliers de chiens sont abandonnés et euthanasiés dans le silence. Et parmi eux, il y a des chiens de race. Cela ne semble perturber aucunement la Société Centrale Canine, profondément ancrée dans ses paradigmes d’un autre temps. C’est donc l’Etat français (par le biais du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation), dont dépend la SCC, qui se rend complice de ces abandons et de ces mises à mort arbitraires. Un comble pour un pays qui vient de promulguer une loi « visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes » !

La réalité, c’est qu’on a beau critiquer les autres pays, notamment asiatiques, pour les actes de cruauté qu’ils commettent envers les animaux, nous ne valons pas mieux : la France est juste beaucoup plus hypocrite et beaucoup plus cynique.

Elisa Gorins
Responsable communication

Les voix d’AVA

Les voix d’AVA : Thierry Bedossa, Elisa Gorins, et Lisa Lapierre. 3 générations qui portent des valeurs communes pour défendre et protéger tous les animaux contre les cruautés et les souffrances qu’ils subissent de notre fait, mais 3 générations qui ont aussi des différences. Leurs intérêts et leurs objectifs partagés dépassent cependant largement ce qui les séparent. 

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