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28/03/2022

Cet inoxerable besoin de réparer le monde

L’étendue des actes de cruauté commis envers des animaux est vertigineuse, effroyable. Elle commence dès le plus jeune âge, lorsque des enfants prennent un malin plaisir à arracher les pattes et les ailes des mouches et des papillons. Elle se poursuit à l’adolescence, lorsque de jeunes écervelés s’amusent à se filmer en train de torturer des chats avant de poster leurs sordides vidéos sur les réseaux sociaux, espérant faire un – macabre – buzz. Elle se poursuit tout au long de la vie d’adulte, et s’exprime de manière si diverse et si variée qu’il serait difficile d’énumérer la liste des supplices que l’humain fait subir aux animaux, depuis tant d’années. Expérimentation animale, exploitation des animaux pour le loisir et le divertissement, chasse, braconnage, élevages industriels, massacre des cétacés, trafics d’animaux… les cruautés sont innombrables. Sans parler des actes de maltraitance commis par des particuliers sur leurs animaux de compagnie, parfois même sans s’en rendre compte…

Cette prise de conscience face à tant de cruautés, je l’ai eue lors de mes études vétérinaires, lorsque j’ai découvert, avec effroi, les conditions de vie, de transport et d’abattage dont sont victimes chaque jour des centaines de milliers de bêtes de rente. Je l’ai aussi réalisée lorsque j’ai dû sacrifier, par conviction éthique, mes rêves d’avenir dans la recherche scientifique : comment aurais-je pu devenir chercheur alors que cela impliquait de mener des expériences sur des animaux, de cautionner leurs conditions de vie indignes et leurs mises à mort injustes et arbitraires ? Enfin, j’en ai pris la mesure lorsque, dans mon activité de praticien, j’ai dû faire face de si nombreuses fois, à des propriétaires qui me demandaient d’euthanasier leur animal, pourtant en bonne santé, au motif qu’il présentait des comportements devenus « gênants » pour son foyer.

C’est de cette indignation, pour ne pas dire cette « révolte », qu’est née l’association AVA. C’est à travers elle, mais aussi à travers mon quotidien de vétérinaire, et plus largement dans celui d’homme, que j’essaie humblement de « réparer le monde », comme le dit si bien la lumineuse philosophe Corine Pelluchon dans son dernier ouvrage. Mais « réparer le monde », ce n’est pas seulement soigner des animaux dans une clinique vétérinaire, ni même les sauver de la mort en les accueillant dans un refuge ; c’est mener des réflexions et des combats à grande échelle, qui ne concernent pas seulement les animaux, mais bien le vivant dans son ensemble. Cet indicible besoin de « réparer le monde », que je ressens profondément, c’est prendre en considération la Terre, l’Homme et les animaux sous le prisme du « One Health » (une seule santé), tel que l’explique le Dr Michael W. Fox dans son œuvre, Healing Animals & the Vision of One Health.

En dissociant notre planète, les animaux et les êtres humains comme nous lefaisons hélas depuis des années, nous courons à notre perte. La crise de la Covid-19 doit absolument déclencher dans le monde entier un électrochoc : l’humain n’est pas au-dessus de la nature ; il fait partie de la nature. Plutôt que de considérer les animaux, les humains et la planète comme des entités séparées, appréhendons leurs complexités comme un tout, et réparons-nous ensemble.

Il y a tant de maladies infectieuses actuellement dans le monde qui affectent les animaux domestiques et les animaux sauvages vivant dans leur proximité. Nous ne sommes finalement qu’une espèce parmi d’autres, frappée, pour ce qui nous concerne, par la Covid-19. Mais nous devrions sérieusement réfléchir à ces occurrences, l’explosion de notre population en quelques décennies, et celle, concomitante, des populations d’animaux d’espèces domestiques face, en revanche, à une perte massive de biodiversité et à l’extinction ou à la diminution si sévère des populations de si nombreuses espèces sauvages.

Les liens de corrélation sont évidents mais nous sommes dans le déni et la dissonance cognitive.

Il faut accepter que nous ne soyons pas immortels, et que la complexité du vivant ne soit pas toujours à notre portée. Nous ne devons pas nous ériger au-dessus du vivant avec ce besoin constant, si propre à l’espèce humaine, de lecontrôler, mais nous devons au contraire composer avec lui. Socrate a dit : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Voilà un témoignage d’humilité dont nous devrions tous faire preuve à l’égard du vivant.

Dans mon quotidien de vétérinaire et de protecteur des animaux, j’observe bien souvent des êtres humains aimants, passionnés, militants, qui ont développé une haine profonde de l’être humain et qui semblent avoir trouvé un refuge en la compagnie d’une espèce différente de la leur. Il y a, hélas, tant de cruauté inter-espèce humaine qu’il y en a entre les humains et les animaux. Finalement, la cruauté envers les animaux n’est-elle pas le reflet d’une souffrance humaine très profonde ? Fort heureusement, il y a aussi, dans les deux cas, beaucoup de bienveillance. Et c’est ce qui me rend optimiste pour l’avenir.

Je suis convaincu que c’est en avançant les uns avec les autres, et non les uns contre les autres, que nous pourrons faire évoluer la cause que nous défendons, avec toutes les connaissances et les expertises nécessaires.

Thierry Bedossa
Docteur vétérinaire
Président

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