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15/04/2022

De la dictature de la «pensée unique» dans la protection animale

Alors que nous entendons tous parler de « dictature sanitaire » en ce moment, une autre « dictature » fait beaucoup moins la une des médias : celle qui frappe le milieu de la protection animale.

Vous avez sans doute déjà observé, notamment sur les réseaux sociaux, que lorsqu’une thématique de protection animale est abordée, le débat n’a quasiment pas sa place. On peut lire dans les commentaires des interventions de « protecteurs des animaux » qui ne laissent finalement aucune place à l’échange. Imposer ses convictions est devenu monnaie courante, tout comme l’agressivité, renforcée par ce triste sentiment de sécurité et de supériorité que chacun ressent, bien caché derrière son écran.

Aujourd’hui, bien que ce courriel puisse heurter certains de nos sympathisants, nous souhaitions vous l’adresser pour vous interpeller sur ces actes virtuels (mais aussi bien réels) et quotidiens dont nous ne pensons pas qu’ils rendent service à la cause défendue. Voici pourquoi.

La « dictature » de la protection animale : par la forme

Tout d’abord, il y a la forme. Cette violence, qui n’est pas propre à la protection animale, mais à celle, plus généralement, des réseaux sociaux.

Selon une étude IFOP pour Franceinfo, 27% des jeunes et 12% de la population totale assurent avoir déjà été victimes d’insultes ou de propos grossiers sur les réseaux. A AVA, nous sommes très souvent témoins d’appels à l’aide lancés sur Facebook émanant de propriétaires d’animaux en détresse. Dans l’écrasante majorité des cas, ces personnes doivent essuyer des vagues d’insultes, de propos haineux emplis de jugements, alors qu’elles étaient venues chercher des conseils et des solutions. Nous ne cautionnons pas cela.

En 2012 (soit 8 ans après la création de Facebook, et 6 ans après celle de Twitter) des chercheurs de l’université de l’Illinois ont voulu se pencher sur nos comportements virtuels. Ils ont mis en évidence « une tendance à manquer de respect liée à un désir de manipuler et de prendre l’avantage sur les autres ». D’autres études, conduites dans les Université de Columbia et de Pittsburgh, ont démontré que les réseaux sociaux entraînaient une « perte de contrôle » et avaient « un effet négatif sur l’humeur », de surcroît contagieux entre internautes.

Les réseaux sociaux sont des lieux d’échange qui devraient faciliter les débats, les rendre riches et construits. Au lieu de cela, ils les rendent infertiles : seuls ceux qui osent s’exprimer postent un commentaire. La majorité silencieuse, elle, est forcée de se taire, paralysée par la peur d’exprimer une idée différente.

Dans une dictature, la liberté d’expression n’a plus sa place. Et alors que les réseaux sociaux devraient être « l’agora » des temps modernes, ils deviennent finalement des lieux où la pensée unique s’impose et où la liberté d’expression tend à se perdre…

La « dictature » de la protection animale : par le fond 

Et puis, il y a le fond. Toutes les causes animales (expérimentation animale, chasse, élevage et captivité des animaux sauvages, élevage industriel, fourrure, corrida, systèmes d’abattage centralisés, etc.) sont des sujets complexes et clivants au sein de la société. Mais ce que nous déplorons est l’absence de tolérance qu’il peut y avoir entre « amis des animaux » qui ne partagent pas les mêmes points de vue, associée à un manque de connaissance.

Nous avons le plus grand respect pour tous ceux qui aiment les animaux, les protègent, et donnent parfois même leur vie pour eux. Nous regrettons cependant que dans cet environnement où règne tant de bienveillance, il y ait aussi un manque de connaissance flagrant. En effet, ce milieu de « la PA » est animé par la passion, l’empathie, l’amour des bêtes : c’est l’émotion qui parle et qui pousse à l’action, au détriment du savoir. Et c’est cela qui pousse à une forme de « dictature de la pensée unique ».

En conséquence, les « protecteurs des animaux » passent bien souvent pour des « extrémistes », des « marginaux », des « humains qui n’aiment pas les humains », autant d’images qui décrédibilisent la cause qu’ils défendent.

Voici un aperçu de quelques « idées reçues » qui engendrent un certain diktat de la pensée unique :

« Il y a trop d’abandons, les refuges sont saturés » 

Chaque été, la plupart des associations de protection animale communiquent sur l’abandon, en surfant sur ce stéréotype qui consisterait à penser que les animaux sont abandonnés sur le bord de la route pendant que leurs propriétaires partent en vacances.

Le motif « départ en vacances » ne représente pourtant qu’1% des raisons qui poussent les propriétaires à se séparer de leur animal, loin derrière les « problèmes de comportement » (37% des abandons), les déménagements (17%) et les événements familiaux comme les décès et les divorces (16%), d’après une enquête réalisée par Wamiz en 2017.

S’il est vrai que les refuges font face à des périodes de saturation, ils communiquent beaucoup moins, en revanche, sur leurs périodes bien plus calmes. Et pourtant, il y en a ! C’est notamment le cas depuis le début de la crise du Covid-19 où les Français expriment un engouement sans précédent pour les animaux de compagnie, à tel point que les refuges étaient presque vides…

Il faut comprendre par là que derrière certaines campagnes contre l’abandon se cachent aussi des enjeux marketing, néanmoins indispensables à la collecte de fonds dont toutes les associations ont besoin.

« Il faut interdire la vente d’animaux via les petites annonces et en animalerie » 

L’une des mesures proposées par de nombreuses associations pour endiguer le problème de l’abandon est l’interdiction de la vente d’animaux de compagnie via les sites de petites annonces comme Le Bon Coin, ainsi qu’en animalerie.

On l’a encore vu le 13 juillet dernier, lors de la publication d’une lettre ouverte co-signée par une quinzaine de célébrités (Jacques Dutronc, Lambert Wilson, Nathalie Baye, Rémi Gaillard…) réclamant « des mesures réellement efficaces pour lutter contre les abandons à la source » en « interdisant leur vente en magasin et en ligne, sur des sites comme Le Bon Coin ». Bien que cette démarche parte d’une bonne intention pour lutter contre l’abandon, la parole d’un « people », aussi célèbre soit-il, n’est pas parole d’Évangile.

Agir pour la Vie Animale ne se positionne pas en tant qu’association « anti-animalerie / anti-vente en ligne », ni anti quoi que ce soit d’ailleurs. Pour nous, le problème ne vient pas des animaleries ni de la reproduction chez des particuliers, mais d’un véritable manque de connaissances concernant les animaux. Oui, il faut lutter contre les achats impulsifs, mais s’en prendre au « canal » d’achat est un faux problème ; l’enjeu réel est de sensibiliser tout nouvel acquérant à la possession responsable, aux besoins de chaque individu, et ce, quel que soit le lieu où il achète ou adopte son animal. Cela vaut également pour les élevages et les refuges !

Si un particulier souhaite un chiot de race, nous ne voyons aucun mal à ce qu’il se dirige vers un élevage ou même un particulier, pour peu que celui-ci élève correctement sa portée. Certains chiots d’animalerie ou achetés sur Le Bon Coin se révèlent d’ailleurs quelquefois bien plus équilibrés que certains chiots venant d’élevage ! Alors à quoi bon stigmatiser et culpabiliser sans cesse ceux qui passent par ces canaux ? 

« Stérilisation obligatoire et systématique des animaux de compagnie » 

La stérilisation des animaux de compagnie, et notamment celle des chats, fait partie des réclamations de certaines associations de protection animale pour lutter contre leur prolifération et l’abandon. 

Loin de militer pour une stérilisation obligatoire et systématique des animaux de compagnie, nous prônons le respect de l’intégrité de chaque individu. Faut-il stériliser un chat d’appartement qui ne sort pas ? Faut-il stériliser un chat âgé et/ou malade ? Chaque animal est une personne, chaque cas est différent, et vouloir systématiser la stérilisation au risque de causer plus de mal que de bien à ces individus n’est pas une vision que l’on partage. Nous plaidons plutôt en faveur d’un changement de méthode.  

Pour en savoir plus sur notre vision à propos de la stérilisation, nous vous invitons à parcourir cet article de notre Président, le Dr vétérinaire Thierry Bedossa, et son interview du Pr. Alain Fontbonne.

« Chat errant = chat malheureux » 

Vous êtes nombreux, parmi nos sympathisants et nos donateurs, à être sensibles à la cause des chats libres et errants, à les nourrir, voire même à les trapper pour ensuite les faire adopter. « Lorsqu’on voit un animal dans la rue, on a en effet tendance à s’apitoyer sur son sort et à faire des projections : on se dit qu’il doit être malheureux parce qu’il est en mauvaise santé, qu’il mange des restes, qu’il n’a pas de foyer, et c’est pourquoi on veut lui venir en aide ; nous voyons naturellement la situation à travers notre prisme d’humain, mais c’est en réalité une méconnaissance de l’éco-éthologie de l’espèce féline, espèce différente de la nôtre », explique Sarah Jeannin, psychologie et Docteure en éthologie (science du comportement animal).

Or, un chat errant n’est pas forcément en détresse, loin de là : « L’espèce féline est l’espèce qui a sans doute la plus grande faculté d’adaptation : les chats sont aussi bien capables de vivre dans la proximité de l’Homme qu’en solitaires, dans les rues », poursuit le Dr Bedossa. « Lorsqu’on extrait un individu de son milieu naturel, même si cela part d’une bonne intention, on peut sans le vouloir lui infliger une situation qu’il n’a pas choisie et qui ne correspond pas à ses besoins, et cela peut avoir de graves répercussions dans certains cas ».

Trapper un chat errant pour ensuite lui imposer une vie de chat confiné en appartement – comme le pensent certains de leurs « protecteurs » – n’est pas forcément lui rendre service. Encore une fois, chaque individu est différent, c’est pourquoi la prise en compte de l’éco-éthologie de cet animal si fascinant, si multiple et si complexe, est absolument nécessaire. 

Nous sommes très souvent contactés par des « nourricières » qui, inquiètes pour les chats dont elles s’occupent, nous demandent de les recueillir. Pourtant, à moins d’un dangerimminent, le meilleur service à rendre à ces chats habitués à leur vie de chats libres, est de les laisser là où ils sont.

A lire aussi : A trop vouloir protéger les animaux, on finit par leur nuire

« Si tu aimes les animaux, tu ne dois pas les manger »

Le véganisme fait de plus en plus d’adeptes à travers le monde, témoignant de la sensibilité grandissante des êtres humains pour la condition animale, et c’est une bonne chose. Le problème du veganisme, selon nous, est qu’il vire à l’extrémisme dès lors que ses adeptes souhaitent l’imposer à tous : « si tu aimes les animaux, tu ne manges pas de viande, point final ». Ce n’est pas une vision que l’on partage.

Se définir comme « vegan » est quelquefois la première caractéristique d’une personne qui décline son identité, nous le constatons aux mails que nous recevons à AVA : « Bonjour, je m’appelle X et je suis vegan depuis 12 ans ». Est-ce que quelqu’un au régime carné se permettrait de dire en introduction d’un mail « Bonjour, je m’appelle X et je mange de la viande depuis 40 ans » ?

Pour nous, le régime alimentaire de tout à chacun fait partie de son intimité. Le revendiquer est un droit, mais l’imposer à tous dans l’idée qu’on ne peut pas aimer les animaux tout en consommant leur chair est, à nos yeux, un abus.

Le problème de la consommation de viande est pour nous lié aux modes de production industriels et aux systèmes d’abattage intensifs et centralisés. Lutter contre les cruautés immondes dont sont victimes les bovins, les volailles, les porcs, les équidés ou les poissons fait partie de nos missions, mais ce combat passe par des réflexions pour encourager les agriculteurs à développer d’autres modèles, et les consommateurs à des achats plus éthiques. Nous nous définissons en cela comme association « welfariste », et non « abolitionniste ».  

En conclusion…

Ces quelques exemples, parmi tant d’autres, montrent que les sujets de protection animale sont souvent bien plus complexes qu’on ne le pense, et que l’émotion que l’on ressent ne peut pas suffire à les défendre. Seule l’expertise permet réellement de les porter avec crédibilité, et c’est ce que nous nous efforçons de faire à AVA.

Nous respectons tous les points de vue et sommes convaincus que les échanges d’opinions participent à la richesse de la vie, pour peu qu’ils se fassent avec bienveillance et tolérance.

De façon caricaturale, nous voulons conclure en affirmant qu’on peut aimer les animaux même en mangeant de la viande, en ayant un chaton acheté sur Le Bon Coin et un chien non stérilisé. Arrêtons de nous juger les uns les autres, et unissons-nous pour défendre les animaux au-delà de nos différences.

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