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20/04/2022

Guerre en Ukraine, agriculture et modèle alimentaire : quelles conséquences ?

D’une manière ou d’une autre, l’invasion de l’Ukraine par la Russie impactera nos vies. En ça je ne vous apprends rien. Mais « dans tout difficulté il y a une opportunité » – adage que chacun attribuera à son penseur préféré – et le titre de ce billet n’est pas une n-ième invitation à lister les perturbations de nos filières  agricoles,  mais plutôt une  incitation  au pas de côté,  pour imaginer la  prise de conscience que pourrait provoquer cette crise sur notre approche de l’alimentation. Je m’explique.

A Nantes, l’œuvre Eloge du pas de côté nous invite à regarder les choses sous un angle différent
(en tout cas c’est comme ça que je l’interprète)

Une crise récente pour des questions anciennes

Ukraine et Russie sont réputées être les « greniers à grain de l’Europe ». Ce sont des exportateurs mondiaux de premier plan en blé tendre, maïs, colza, orge ou encore tournesol. Mais aussi en engrais, pesticides, biocarburants, et énergies fossiles : la Russie est le premier fournisseur de gaz de l’Europe, et le second de pétrole (clin d’œil au nouveau concept de plein à 80€ sur une Fiat 500).

Du fait de la guerre économique, des problèmes d’acheminement et des incertitudes sur les futures campagnes agricoles ukrainiennes, la dépendance dont souffrent beaucoup de pays vis-à-vis de ces pays en guerre est en train de se révéler au travers de douloureuses flambées tarifaires et pressions sur les approvisionnements. La France étant une « puissance agricole », nous encaisserons le choc mieux que d’autres pays de l’UE ou d’Afrique du Nord en matière de céréales, mais la question des livraisons reste entière pour les intrants chimiques et l’énergie.

Quelle que soit l’ampleur des difficultés à redouter, cette crise me semble être la bonne occasion de s’interroger sur les modèles agricoles qui font foi dans notre monde industrialisé, France y compris. Et le premier défi est – me semble-t-il – de se poser les bonnes questions : non pas, par exemple, « comment   va-t-on   faire   fonctionner   le   modèle   actuel   malgré   cette   crise   de   coûts   et d’approvisionnements » mais plutôt « comment cette crise de coûts et d’approvisionnements peut-elle constituer une opportunité de repenser notre modèle ? »

Céréales, énergies, engrais : à quoi nous servent-ils ?

Voyons d’abord l’usage que nous faisons de ces céréales qui sont au centre de toutes les attentions : c’est pour nourrir (ou plutôt « remplir » d’ailleurs) volailles, ruminants et porcs qu’on les utilise. Pour booster leurs croissances et productions laitières, engraisser plus vite, abattre plus tôt et toujours maximiser la rentabilité d’un élevage. Je compare souvent ces grains aux Chocapic que l’on donne (ou pas) à nos enfants : des bombes de calories vides et déséquilibrées, qui flattent les papilles, font grossir et pèsent sur la santé.

Quand on n’importe pas le blé et le maïs, il faut les produire, bien sûr de façon prédictible et avec des rendements élevés, sur des terres épuisées que l’on arrose allègrement d’engrais – Chocapic pour le sol – et autres intrants destructeurs. On sème, traite, récolte et transporte ainsi, à grands renforts de machines agricoles émettrices de gaz à effet de serre (aussi fascinants puissent-être ces gros engins par ailleurs).

A l’aide des énergies fossiles également, on chauffe des bâtiments où vivent des animaux qui ne demandent qu’à être dehors, on reconstitue des ersatz de lait que l’on distribue à des veaux qui auraient pu le boire au pis de leur mère, et on déplace chaque année des centaines de milliers d’animaux à travers l’Europe, en camions eux aussi forts polluants (pensez à repérer ces camions de bétail sur les routes, ils sont partout).

Camion à bétail comme on en voit des dizaines sur les routes.
Mais est-il nécessaire – et digne – de tant déplacer les animaux de nos élevages

Ce cycle artificiel – baignoire trouée – dans lequel nous avons choisi de nous enfermer pour «nourrir la France» n’est ni autonome ni durable, et c’est – une fois encore – une crise qui nous amène à nous poser, contraints et forcés, des questions structurelles de souveraineté économique.

Pour une agriculture plus lente et durable

Vous connaissez le mouvement slow food ? [https://slowfood.fr/] Et si on inventait le slow farming ?

Rappelons ici qu’une vache, une chèvre ou un mouton dans son habitat naturel, ça mange de l’herbe et quelques autres éléments végétaux indigènes. Point. Poules et cochons sont quant à eux des omnivores. Aucun d’entre eux n’a besoin de grain – a fortiori d’importation ou en quantités – pour grandir ou être en bonne santé. L’élevage pensé par les humains a éloigné nos animaux domestiques de leurs régimes naturels (chiens et chats compris, vaste sujet), pour répondre à des objectifs de productivité, praticité et rentabilité économique : des raisons qui appartiennent aux humains, mais n’ont rien à voir avec les besoins des animaux qu’on exploite.

Alors débrayons un instant, comme on prendrait cinq minutes pour méditer et repartir du bon pied : pourquoi ne reviendrait-on pas à une agriculture plus lente (je dirais même plus calme) et à l’écoute des ressources que l’on exploite ? Un système où une vache mange l’herbe qui est sous ses pieds (et tant pis si elle grossit moins vite), où la production de viande et de lait se fait sur les mêmes exploitations (« comme on faisait avant » vous diront ceux qui étaient là avant que l’appareil agricole ne s’emballe), où chaque élevage assume ses naissances et où l’on accepte qu’un poulet mette trois fois plus de temps à atteindre 1,5 kg.

Précisons que de telles fermes durables et paysannes, ça existe. Il y en a plein, menées par des éleveurs.euses qui refusent la doxa agricole. Et de telles fermes autonomes, élevées au carré ça peut faire   un   pays   autonome.   Moyennant   bien   sûr   quelques   contraintes,   dont   certaines   nous impliqueraient nous, consommateurs – nous n’échapperons pas à notre dose d’effort dans cette douce utopie. Accepter de ne manger de la viande qu’une fois par semaine (pour de vrai hein !), réduire sa consommation de produits laitiers quitte à s’en priver de temps en temps (oui oui, s’en priver), accepter de la variabilité dans les tailles, formes et goûts de nos produits, accepter un prix parfois supérieur. On pourrait imaginer en somme un système où le consommateur accepte – attention ça va faire mal – de changer ses habitudes.

Produit de façon intensive (artificielle même), puis écrémé, homogénéisé
et surchauffé avant d’arriver dans notre verre,
le lait garde-t-il sa valeur nutritionnelle – et son sens – originels ?

Consommer c’est voter

Rendre l’agriculture française consciente et respectueuse de la nature, ça peut sonner comme un vœu pieu, et il est certain que ça ne se fera pas du jour au lendemain. La mutation de nos filières est une tâche ardue : il faudrait repenser ce que l’on appelle élevage, politique agricole ou encore bien-être animal, et même repenser à la manière de mesurer l’efficacité d’un système (est-ce par la rentabilité et les volumes seulement ?). Tout ça d’accord, c’est du long terme, c’est de l’inertie, et on ne maîtrise pas tout.

Mais rassurons-nous en nous disant que l’on peut tous démarrer par un premier pas individuel, qui de manière additive devient collectif. On peut s’arrêter un instant, une fois de plus ça ne fait pas de mal, réfléchir sur nos exigences (caprices ?) alimentaires et tenter des petites actions quotidiennes. Car nous avons un pouvoir majeur que l’on exerce tous les jours : la consommation. Nos choix retentissent de façon directe sur le système qui nous nourrit.

On peut voter pour une autre agriculture dès la prochaine fois que l’on va faire les courses (oui les produits bio sont plus chers, mais plus propres aussi), ou la prochaine fois que l’on va au restaurant (oui elle donne envie cette « pièce du boucher » mais comment e-t-elle été produite cette viande ?). Ensemble, on peut agir tout de suite et de manière impactante, à une condition : que la prochaine fois qu’on a l’opportunité de faire un choix engagé, justement, on ne se dise pas « je le ferai la prochaine fois ».

«A partir de demain je me lève plus tôt»… Et si je commençais aujourd’hui?
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